L’échec de Sodome -Paracha “Vayera”
- Yoav Lévy
- 12 nov.
- 4 min de lecture

L’échec de Sodome - Paracha “Vayera”
La ville du mal, Sodome , est condamnée à une destruction totale en raison de ses graves fautes, tout comme l’humanité entière à l’époque du Déluge.
Mais la tradition rabbinique explique que les crimes de Sodome différaient de ceux de la génération du Déluge.
Dans le Midrash, qui s’appuie sur le texte biblique, on trouve l’idée que la ville était comme un paradis économique : « comme le jardin de l’Éternel, comme le pays d’Égypte ».
Sodome et sa région jouissaient d’une prospérité matérielle exceptionnelle et d’occasions uniques d’enrichissement rapide.
Ces conditions particulières ont conduit ses habitants à adopter une mentalité de zèle économique : leur immense richesse les amena à une position capitaliste extrême, selon laquelle seuls eux avaient le droit exclusif de profiter des avantages économiques de Sodome.
De là découlent deux comportements socio-économiques caractéristiques des habitants de la ville :
La haine et la rivalité interne entre les citoyens eux-mêmes, dans une course impitoyable vers un bien-être matériel toujours accru.
Jaloux et avides, ils n’hésitaient pas à se nuire les uns aux autres pour satisfaire leur soif d’argent et de biens.
Cette obsession du profit les amenait également à exploiter sans scrupule les classes les plus faibles.
Les pauvres étaient considérés comme quantité négligeable : leur statut social n’était pas reconnu, et il existait même des lois autorisant légalement leur oppression et leur humiliation.
La pauvreté, symbole d’échec économique, contredisait la fierté de la ville, entièrement fondée sur la réussite matérielle.
Ainsi, la richesse devenait la valeur suprême de la vie à Sodome, et justifiait la violence sociale.
Une xénophobie profonde – le rejet et la haine des étrangers.
Tout visiteur ou touriste qui entrait à Sodome était perçu comme une menace, un concurrent susceptible de profiter lui aussi de la prospérité du lieu.
Les étrangers risquaient de s’y installer et, de ce fait, de diminuer la richesse des habitants.
La bourgeoisie locale cherchait donc à préserver jalousement ses intérêts, son capital et ses revenus, face aux migrants ou aux étrangers de passage.
La loi de Sodome interdisait strictement l’entrée de tout visiteur.
Rien ne devait menacer le niveau de vie élevé, la sécurité économique et la tranquillité fondée sur l’opulence.
Ainsi, les habitants de Sodome devinrent – malgré leurs tensions internes – une société hermétiquement fermée, reconnaissant uniquement leur propre ethnos local.
L’autre, le différent, était perçu comme un danger.
Ils n’avaient aucune tolérance envers quiconque n’était pas semblable à eux.
Ce mal, qui exprime un égoïsme absolu, justifie donc la destruction totale de la ville.
L’éthique sodomite – ce capitalisme sans frein – s’oppose radicalement à l’éthique biblique et à l’éthique juive.
Une société fondée sur de telles valeurs perd toute raison d’exister, et la ville est alors renversée : « Il renversa les villes ».
La Bible réclame au contraire une société fondée sur la solidarité sociale et la reconnaissance des droits de l’étranger et du pauvre.
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Ne pas regarder en arrière
Les envoyés divins qui arrivent à Sodome ordonnent donc à celui qui est considéré comme juste dans la ville, Lot, et à sa famille, de quitter immédiatement Sodome avant sa destruction totale.
Lot tarde à sortir : « il hésita ». Il lui est difficile de se séparer de ce lieu pour diverses raisons.
Les messagers doivent donc le contraindre physiquement à fuir.
En même temps, ils lui donnent un ordre surprenant :
« Sauve-toi pour ta vie, ne regarde pas derrière toi ! »
L’objectif de cette injonction est de fuir aussi vite que possible la ville des pécheurs avant que ne s’abatte la catastrophe.
L’avertissement est clair : « Sauve-toi, de peur que tu ne périsses ! »
Pourtant, la femme de Lot tourne la tête et regarde la ville en train d’être renversée :
« Sa femme regarda derrière lui, et elle devint une colonne de sel. »
Pourquoi la femme de Lot s’est-elle retournée pour voir la ville en ruine ?
Peut-être, comme son mari qui avait lui aussi hésité, partageait-elle la même difficulté à partir.
La tradition rabbinique propose plusieurs explications :
Selon l’explication suivante, une partie de sa famille était restée en ville. Il lui était pénible de se séparer brusquement de ses filles et de ses gendres qui, malgré l’avertissement de Lot, refusèrent de quitter Sodome. Son attachement affectif l’empêchait de continuer à marcher vers l’avenir.
Selon une autre explication elle regrettait les biens et la fortune accumulés à Sodome. Elle ne pouvait accepter la perte de sa richesse.
On trouve l’explication identitaire , née à Sodome, elle se sentait liée à ses habitants et à sa ville natale ; son regard en arrière exprimait sa stupeur devant le sort réservé à son peuple.
Selon autre perspective , elle doutait qu’un désastre puisse réellement survenir, et se retourna pour vérifier si la promesse de destruction allait se réaliser.
Une explication inverse veut qu’ elle regarda par curiosité, peut-être même par satisfaction de voir le châtiment des autres ; ce plaisir malsain de contempler la punition des méchants justifia sa propre sanction.
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Le récit biblique veut ainsi souligner que, pour ne pas mourir – comme la femme de Lot – il faut savoir se détacher : accomplir en quelque sorte une mort symbolique à soi-même.
Lot et sa femme sont les figures inverses d’Abraham, qui, sur ordre de Dieu, « Va-t’en de ton pays », sait quitter sa terre natale et sa famille pour avancer sans se retourner, droit vers un avenir inconnu.
Ne pas détourner son regard du passé revient à accepter une mort symbolique. S’attacher au passé, vouloir contempler la catastrophe, comme la femme de Lot, c’est se figer : devenir statique, immobile, privé d’élan vital.

À propos de l'auteur - Yoav Levy
Je suis né à Jérusalem, j'ai étudié les études juives à l'Université hébraïque et à l'Institut Schechter de Jérusalem.
J'habite à Paris, j'enseigne des textes bibliques et des rabbins et je traduis dans divers domaines du français à l'hébreu. Dans le blog écrit sur la « Parasha de la semaine », je vois la Bible comme exprimant un grand nombre d'aspects, parmi lesquels la pensée philosophique, socio-politique et psychanalytique, à travers, entre autres, l'analyse de la structure littéraire du récit et du texte biblique, et dans une lecture qui ne renonce pas au contexte historique dans lequel est née cette œuvre, je souhaite présenter ces aspects. Il s'agit notamment de révéler les liens possibles entre la philosophie biblique et la psychanalyse.






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