Laisser de la poussière — Parashat VayishlaH

Laisser de la poussière — Parashat Vayishlaḥ

Dans la nuit, en chemin, alors qu’il est entièrement seul — « Et Jacob resta seul » — Jacob rêve à nouveau.

Comme lors de sa sortie de Canaan, son retour vers la terre de sa naissance est marqué par un rêve fondateur.

Autrefois, en fuyant, il avait vu une échelle dressée entre terre et ciel, tandis que lui-même gisait passivement sur les pierres du lieu.

Maintenant, à l’approche de son retour, son rêve est tout différent : Jacob n’est plus couché, mais debout, actif, luttant et parlant.

Toute la nuit devient pour lui un espace de rencontre avec lui-même.

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Face à face

Dans son rêve, il aperçoit un homme qui lutte avec lui — face à face —

« Un homme lutta avec lui jusqu’à l’aube ».

Cet homme représente l’autre versant de sa personne, cette part fuyante, cachée, dont Jacob doit d’abord prendre conscience, puis qu’il doit affronter — sans jamais pouvoir l’effacer complètement.

Jacob a déjà lutté une fois, mais autrement : alors, il était à l’arrière, tenant le talon de son frère Ésaü à leur naissance.

À présent il se tient en face, droit, et rencontre enfin ce qu’il évitait depuis toujours.

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Lutter et boiter

La racine du nom Ya‘aqov (ע.ק.ב) est proche de celle du mot lutter (א.ב.ק).

Jacob sait qu’il n’est pas doté d’une force illimitée.

Son énergie physique et psychique a des limites, et c’est pourquoi la lutte dure toute la nuit : un processus lent plutôt qu’une victoire immédiate.

Il en sort boiteux — « et il boitait de la hanche ».

Cette boiterie n’est pas seulement une blessure : c’est un signe.

Désormais, il lui faudra ralentir sa marche, renoncer à la fuite.

Il s’est déjà enfui deux fois : d’Ésaü vers Haran, puis de Laban vers Canaan.

À présent, même en boitant, il ne peut plus fuir.

Entrer en Canaan l’oblige à regarder la réalité en face, sans esquive, face à face.

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Le passage et le passé

L’événement se déroule au gué du Yabok — « Il fit passer le gué du Yabok ».

Yabok ressemble à Ya‘aqov : les deux noms évoquent un passage.

La frontière géographique devient aussi la marque d’une transformation intérieure.

Jacob traverse une identité : de la dépendance de l’exil vers l’autonomie de la terre.

Il ne sera plus sous la protection de Laban, mais maître de sa propre vie.

Pour acquérir cette nouvelle identité, il doit se détacher de son passé, notamment de sa relation blessée avec Ésaü.

La mémoire ancienne ne doit plus entraver son avenir.

Jacob doit reconquérir sa liberté intérieure.

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Poussière dans l’air

Le Midrash dans le Talmud ( Houline) commente l’expression « il lutta » ויאבק'' :

« Ils soulevèrent de la poussière (אבק)sous leurs pieds jusqu’au trône de gloire ».

Le frottement de la lutte fait monter la poussière de la terre vers le ciel.

La lutte devient mémoire.

Cette poussière, comme un parfum d’encens, s’élève et devient prière :

appel à la paix, au pardon, à la réconciliation.

La force physique se transforme en énergie spirituelle.

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Douceur

La lutte se conclut par : « La hanche de Jacob se démit ».

La hanche — un membre tendre et vulnérable — révèle la fragilité de Jacob.

La blessure inscrit dans son corps la limite de sa force et la trace de sa nouvelle identité.

Son corps se souvient de ce que son esprit a compris :

éviter le conflit ou lutter contre soi-même a un prix, un prix inscrit dans la chair.

À propos de l'auteur - Yoav Levy

Je suis né à Jérusalem, j'ai étudié les études juives à l'Université hébraïque et à l'Institut Schechter de Jérusalem.

J'habite à Paris, j'enseigne des textes bibliques et des rabbins et je traduis dans divers domaines du français à l'hébreu. Dans le blog écrit sur la « Parasha de la semaine », je vois la Bible comme exprimant un grand nombre d'aspects, parmi lesquels la pensée philosophique, socio-politique et psychanalytique, à travers, entre autres, l'analyse de la structure littéraire du récit et du texte biblique, et dans une lecture qui ne renonce pas au contexte historique dans lequel est née cette œuvre, je souhaite présenter ces aspects. Il s'agit notamment de révéler les liens possibles entre la philosophie biblique et la psychanalyse.